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Le Corps du pictural

27 Décembre 2008, 18:32pm


            La pratique de David Gommez se fonde sur une dualité: l'articulation de la gravure en relief et du dessin à la mine de plomb.
La gravure est souvent considérée comme pratique complémentaire de la peinture puisqu'elle permet la reproduction en nombre d'images originales. David fait de la gravure une démarche à part entière. De la fabrication des matrices à leurs impressions, du procédé au processus, l'oeuvre traite de la gravure et la montre dans sa globalité. La gravure n'est plus un moyen de reproduire des images, mais un corpus qui contiendrait le pictural, le graphisme et le sculptural: des étendues colorées, des réseaux de lignes, des formes en bois plaquées ou architecturées.


            L'innovation de cette oeuvre est de déployer et de montrer ce corpus qui paradoxalement était selon Pline l'ancien, le mythe fondateur de la peinture, de l'art du portrait précisément. Suivant le mythe, la fille du potier Butadès voulut retenir l'image de son fiancé partant à la guerre. Elle en projeta l'ombre sur un mur, et son père y plaqua de la glaise pour en graver la figure. Puis il décolla le portrait du mur pour solidifier la terre par la cuisson.
Ce mythe induit la gravure, c'est-à-dire les deux parties (matrice et impression) constitutives de ce savoir faire. La peinture originellement contient le corps de la gravure ou l'acte de faire une impression amènerait à la peinture.

            La gravure, comme la peinture dans le mythe de Pline l'ancien, n'expose au regardeur qu'une partie: l'impression est visible au détriment de la matrice.
David expose la totalité de ce corpus mais avec ce qui le fonde et le constitue: un corps coupé en deux. Cette séparation est le geste de l'artiste, son corps, la chiralité de ses mains et de tout corps précisément. Les mains sont chirales: autonomes et identiques face contre face mais leurs formes ne se correspondent plus si elles sont superposées. Elles ont une relation inversée. Il en va de même pour la gravure: l'impression est chirale de la matrice. David institue sur le même plan la matrice et son impression, la partie et la contre-partie, la face et le dos. Cette chiralité est poussée à son paroxysme lorsqu'une matrice et son impression sont installées en miroir.

            D'un côté la main légère et patiente de la mine de plomb qui crée des images sans poids, des ombres. Cette ombre projetée qui se retrouve dans le mythe de la peinture. Et d'un autre côté cette main qui grave, écorche, et imprime de tout son poids la plaque de bois: cette autre étape qui correspond à la main du potier plaquant l'argile.
Et le geste de David puisqu'il impose une dualité, recrée le geste inaugurant la peinture. Tout peut alors être "plaqué" - il s'agit à la fois de la plaque de bois et la plaque en tant qu'épaisseur de la peinture - et se décoller ou inversement pour devenir une oeuvre.


            L'oeuvre de David a le poids du mythe des origines de la peinture révélée par la gravure en tant que savoir-faire. Pourtant elle est toute contemporaine car elle expose une scission: le corps nécéssairement coupé en deux. L'oeuvre de David expose cette dialectique: entre gravure et peinture, le geste de l'artiste crée l'épaisseur d'un nouveau corps qui relèverait du pictural c'est-à-dire de la peinture en tant que processus et non en tant qu'objet.


"Le Corps du pictural"  texte de Sandrine Fonséca, plasticienne.
2008.





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